Friday, September 30, 2011

Intervention et representation de la pauvrete.

Intervention et representation de la pauvrete. ... when poverty is conceived sociologically--rather thanpathologically--as a << functional part of a situation composed ofinteracting selves >> (Cottrell 1942), we see that our theories ofpoverty may help to sustain its reality. Billings (1974 322) APRES AVOIR MARQUE L'APPARITION DU CAPITALISME, l'enjeude la pauvrete a refait surface. Il mobilise des actions allant des plusglobales, comme l'enonce, par le Gouvernement du Quebec, d'unepolitique visant a abolir la pauvrete (Noel 2003), jusqu'aux plusminuscules aspects de l'intervention sociale. C'est a cedernier niveau que se situe ce texte. Comme on le verra, lesparticularites locales et les visees fondamentales s'y entremelentet materialisent ce qui, autrement, risquerait de demeurer un simplediscours. C'est aussi a ce niveau que la purete des approchesconceptuelles se complique. Le but de ce texte est d'explorer quelques aspects desrelations entre acteurs touches par l'intervention sur la pauvrete.Il s'inspire d'une recherche portant sur les pratiques desecurite alimentaire dans une region du Quebec, mais son intentionn'est pas tant de decrire ces pratiques que d'en construire un<< modele simplifie >> ou un << type ideal >>,afin de montrer comment est concue l'interaction entre acteurs quicompose le champ de la lutte a la pauvrete. Nos entretiens avec lesintervenants et avec les personnes en situation de pauvrete nous ontmontre que cette intervention ne se limite pas a l'administrationde programmes et de mesures. Elle implique des aspects plus implicites,mais neanmoins structurants; nous appellerons << position de sujet>> l'attribution de caracteristiques qui definissent a lafois les acteurs et leurs interrelations. Ainsi, lorsque nous avons demande a un intervenant de nous parlerdes personnes pauvres residant sur son territoire, la reponse a comportece passage: << ... les epaules basses, comme si elles portaient la miseredu monde sur leurs epaules. [...] Une attitude aussi verbale ou ils sonttres defaitistes. De toute facon ... pourquoi je ferais des efforts?Parce qu 'il n'y en a pas de lumiere au bout du tunnel pources gens-la. Alors dans leurs facons d'agir, elles ne recherchentpas de solutions parce que pour elles c'est comme ... il n'y apas de solutions la. >> (Entrevue 5) On le voit, la pauvrete ne se limite pas a une statistique sur laredistribution des revenus. Pour cet informateur, c'est aussiquelque chose qui marque le corps, le langage verbal et gestuel, quitouche a la conception de l'avenir et de la possibilited'avoir prise sur lui. Et elle le fait de facon negative: problemesans solution, elle mene a la resignation, au sentiment d'unedefaite. Notre interlocuteur s'inscrit, sans le savoir, dans une longuetradition qui impute aux traits des personnes pauvres la responsabilitede leur situation. La question a preoccupe les premiers enqueteurssociaux (Rodriguez 2007:65-68) et, avec les debats sur la culture depauvrete, elle a marque la scene publique americaine. A l'origine,O. Lewis (1961, 1966) voulait documenter et denoncer le sort fait auxpopulations paysannes mexicaines releguees par le developpementdependant de leur pays a une situation de grand denuement materiel. Maisil voulait aussi montrer la grande creativite et la resilience despaysans pauvres, qui savent survivre dans des conditions a la limite dusupportable (Harvey et Reed 1996). Une grande partie de l'oeuvre deLewis consista a recenser ces facons de faire (presentees comme destraits culturels) et a montrer comment elles interagissent et formentsysteme (Rigdon 1988). Une fois crees, les traits qui composent la culture de pauvretetendent a se soutenir mutuellement, ce qui les menera a se reproduiretant qu'existeront les contraintes objectives qui leur avaientdonne naissance. Ces traits mentaux et comportementaux formeront uneculture, un ensemble coherent de modes de faire et de penser qui setransmettent de generation en generation. Ils acquierent ainsi unecapacite de determination, de moulage des comportements individuels quideviendront orientes vers l'adaptation a la situation de denuement(Kochuyt 2006:144). Change alors leur statut theorique: d'effets dela pauvrete, ils deviennent alors une partie de sa cause. Une foisqu'ils sont interiorises par l'individu, ils lui rendentdifficile, voire impossible, de se projeter dans l'avenir,d'elaborer des plans et de differer la tentation d'unegratification immediate. Ces qualites etant necessaires a qui veutentreprendre ou developper un plan de carriere, les personnes qui ensont demunies seront incapables d'elaborer des strategies de sortiede la situation actuelle et, en consequence, demeureront pauvres. Lacapacite adaptative dont font preuve les personnes pauvres se retournecontre elles et les enferme dans la pauvrete. Plus que l'absence de<< competences >> des personnes pauvres et mieux quel'idee d'un << choix >> individuel menant a lapauvrete, c'est cette dynamique circulaire qui reproduit lapauvrete. On ne peut donc pas la comprendre en opposant causespersonnelles et causes sociales de la pauvrete. En presentant ainsi la pauvrete comme un effet possible de laculture de pauvrete, Lewis ouvrait (bien malgre lui) la porte auxreactions conservatrices qui concluront vite que les pauvres sontpauvres parce qu'ils vivent et pensent comme des pauvres et passeulement parce qu'ils sont denues de moyens materiels et derevenu. Ce renversement de la causalite a deux consequences. La premiereest qu'il revient a imputer aux pauvres la responsabilite de leurcondition (Ryan 1976), laquelle n'est plus l'effet d'unsysteme inegalitaire, mais celui des incapacites personnelles despersonnes qui s'y trouvent desavantagees. La deuxieme est de menera reinterpreter les traits attribues aux pauvres; par exemple, plutotque de parler, comme Lewis, de solidarite familiale et d'y voir uneforce de resilience, Banfield (1958) inventera le concept de amoralfamilialism et en fera une des bases de l' << arrieration>> de la societe italienne meridionale. Le debat souleve par cesinterpretations divergentes fit rage pendant les annees soixante(Valentine 1968) et reapparait, de facon plus ou moins larvee, encore denos jours (Jones et Luo 1999; Paugam 1991:18-25, Wilson 1994). Cela tenda confirmer la phrase de Moeller (1995) pour qui << the perceptionof poverty is what defines poverty >> (p. 1). Dans ce debat ancien, on peut discerner deux ordresd'interrogation qu'utilisera a son tour le present article. Lepremier est celui des representations du pauvre, de la conceptionqu'on se fait des causes de sa situation, des solutions possibleset des perspectives d'avenir. C'est lorsqu'on parle auxindividus charges d'intervenir aupres des personnes pauvres quecette representation ressort avec le plus de clarte. En effet, faireparler les pauvres eux-memes de leur pauvrete est chose difficile; lapauvrete etant un stigmate, nul ne veut s'en avouer porteur. Lespersonnes en situation de pauvrete, par contre, acceptent de presenterles strategies qu'elles utilisent dans la vie quotidienne.C'est dans la presentation de leurs pratiques qu'on peutretrouver, de facon indirecte, leur representation de la situation depauvrete. En d'autres termes, l'intervention sur la pauvrete ne metpas en jeu la seule elaboration de politiques concernant la securite durevenu, le soutien aux familles, le logement ou l'insertion enemploi, bien qu'il s'agisse evidemment de domaines essentiels(Ulysse et Lesemann 2004). Elle implique l'elaboration d'unerepresentation du corps, de l'ame, de la pensee des pauvres et leuretre intime, de leur rapport a la communaute environnante et a lacommunaute politique autant que de celui qu'ils entretiennent avecleur famille et leurs parents, car c'est tout cela qui est mobilisepar les << politiques actives >> de lutte a la pauvrete(Ditah et Roberts 2002; Foucart (dir.) 2005; Mingione et Oberti 2003).Celles-ci demandent un investissement personnel du pauvre, qui ne peutplus se contenter d'etre le recipiendaire passif des largessesetatiques, mais doit se responsabiliser afin d'ameliorer sacondition. Le contrat implicite qu'il a signe avec la societe peutlui donner des droits de citoyennete, mais lui impose aussi le devoird'en faire bon usage. L'Etat intervient donc non seulement surla societe, mais aussi sur l'individu. C'est ainsi que seconstitue << le social >> (Rose 1999). Comme l'indique l'intervenant cite plus haut, le pauvren'a guere cette capacite responsable. I1 devra donc etre appuye etaide par des personnes mandatees a cette fin et ayant la capacite de luifournir cette aide. En son aspect le plus concret, l'interventionsur la pauvrete n'est pas un processus administratif ou comptable,mais une relation sociale incarnee dans l'interaction entre desacteurs definis par cette interaction. La pauvrete concernee par cetexte se rapproche de celle dont traitait Simmel: le pauvre est celuiqui est inscrit dans une relation d'assistance (Messu 2003:41;Simmel 1998) et pas seulement celui (ou celle) qui se trouve sous le<< seuil de faible revenu >>. Elle implique, comme toute action sociale, la production designifications guidant les acteurs. Denouer l'echeveau de ce reseausemantique necessite un processus d'interpretation dont lespremiers elements font l'objet de ce texte. I1 contraste la facondont des intervenants presentent les pauvres et la pauvrete et la facondont des personnes en situation de pauvrete parlent d'elles-memeset de leurs difficultes. Cette mise en regard fait ressortir la tresgrande distance entre ces deux discours. On verra que les personnespauvres tendent a distinguer leur existence en tant qu'individus dela situation de pauvrete dans laquelle elles se trouvent; cettesituation les contraint, mais ne les definit pas. Les intervenants, aucontraire, tendent a definir les personnes pauvres par les problemesdont elles sont porteuses. Chacun des acteurs trouve ainsi unelegitimite a son existence, mais dans une dynamique qui n'ouvreguere la porte a un dialogue constructif, ce qui est regrettable quandon approche l'intervention comme une interaction. La section qui suit explore quelques dimensions theoriques de cetterelation. Les suivantes, en s'inspirant d'une recherche surles pratiques de securite alimentaire, illustreront empiriquement larepresentation que se font, des pauvres, des intervenants qui lescotoient quotidiennement. Symetriquement, nous considererons ensuitecertaines pratiques et strategies deployees par es personnes ensituation de pauvrete, afin de voir comment elles se represententelles-memes leur position dans la lutte a l'insecurite alimentaire.En conclusion, je presenterai quelques hypotheses visant a mieux cernerles interactions a l'ceuvre (1). L'intervention comme champ de pratique L'intervention sur la societe est evidemment une priorite del'Etat depuis son origine, mais l'intervention sociale alongtemps ete du domaine prive. Ce n'est que relativement recemmentqu'elle est devenue un domaine balise par l'Etat, devenu deslors Etat-providence reprenant a sa charge la distinction entre societecivile et societe politique et la redefinissant dans une logique deconcentration des ressources et de centralisation des decisions. Danscette rearticulation des rapports Etat-societe, l'Etat a pris encharge la destinee des personnes et l'a confiee, de faconcroissante, a des professionnels pour lesquels ce qui relevaitauparavant de l'action privee volontaire est devenu un travail etune carriere, ouvrant l'acces a un statut et a des revenus. Commepour toute profession, celle-ci ne peut etre ouverte a tous, sous peinede perte de statut. On vit donc apparaitre peu a peu des exigences:acceptation par les pairs, organisations et associationsprofessionnelles, marques d'appartenance (par exemple, lesinitiales a la fin du nom), rituels (les congres, colloques et <<formations >>), ainsi que des codes plus ou moins inaccessiblesaux profanes (sigles, vocabulaire technique, etc.). Cette professionnalisation ne peut aller sans l'appropriationd'un domaine d'expertise dont le centre de gravite se trouvedans la gestion de l'inegalite sociale et la (re)integration despersonnes qu'elle risque de laisser a la marge. L'appareillageadministratif et bureaucratique s'impose si on veut gererefficacement et en respectant les droits de citoyennete, mais iln'est pas suffisant et, surtout, il ne doit pas etre envisage sousle seul angle technique. I1 est en effet tout autant politique,c'est-a-dire qu'il formalise une hierarchie orientant ladirection des decisions, qui ne peut se passer d'une legitimation:il faut non seulement agir, mais faire accepter son droit a agir; nonseulement decider, mais faire accepter son droit a decider. C'estbien d'hegemonie qu'il s'agit (Scott 1994). En l'occurrence, cette legitimite repose beaucoup sur le refusd'un rapport explicitement politique. Elle se presente plutot commeprovenant d'une expertise technique, c'est-a-dire de lapossession d'un savoir fonde dans l'experience et la pratique,connaissant les consequences de son action (2), consacre parl'appartenance une profession et detenteur d'une capacitereflexive, c'est-a-dire pouvant reflechir a sa propre pratique.Cette technicite (Renaud 2001) est ce qui lui donne son droit a agir. Enconsequence, quiconque en sortirait, par exemple en invoquant unelegitimite politique ou ideologique, sortirait aussi des frontieresqu'elle protege. Il en decoule une certaine comprehension du role et del'identite d'intervenant-e social. Celui-ci est un acteurdetenteur d'experience, et possedant de surcroit la capacited'abstraire un savoir de cette experience. De cette representationdecoule une comprehension de ceux et celles avec lequel il interagira,qu'on peut appeler clients, usagers, ou beneficiaires, qui sont desroles definis comme la position de ceux qui ne possedent ni ce savoir nicette capacite. Cette depossession peut decouler d'un manque deformation, de possibilite materielle ou intellectuelle. Elle peut aussivenir de ce qu'etant un sujet souffrant et en difficulte,l'individu n'est pas en position de faire agir cetteabstraction, comme un medecin qui ira voir un collegue et ne se soignerapas lui-meme. En d'autres termes, la position hegemonique del'intervenant dans la relation d'intervention lui permet dedefinir les autres participants a l'interaction. Cette definitionplace ceux-ci comme complementaires au role joue par l'intervenant. Derriere le savoir technique legitimant l'intervention sedissimulent donc des relations qui permettent l'emergence etl'usage de ce savoir et qui en dependent--car c'est enrelation a ce savoir, a sa production, a sa possession et a sadistribution, que s'etablira la division des roles, du travail etdu pouvoir (3). Pour comprendre l'intervention, il faut donccomprendre ce positionnement des acteurs ou, faudrait-il mieux dire,cette positionnalite, terme qui designe l'incorporation, dans ladefinition de l'acteur, de sa situation relative aux autres actantsde la situation. L'expertise definissant l'intervenant lepositionne comme sujet sachant-connaissant et donc pouv ant agir surd'autres acteurs definis negativement, c'est-a-dire commeobjets de l'intervention. Cela ne signifie pas que ceux-ci restentpassifs et se contentent d'integrer la definition qu'on donned'eux, mais cela indique bien la division et la hierarchieimpliquees par cette position de sujet. Celleci n'est pas unesimple question d'identite (A = A), mais une interpellation, unedeclaration situant l'acteur et ses strategies dans un champtraverse par des inegalites (A [not equal to] B). Paugam (1991) a bienidentifie cette relation asymetrique en parlant << del'assistant qui designe et des usagers qui sont designes >>(p. 28). Comme on le verra, les intervenants rencontres presentent leurrapport aux personnes pauvres sous l'angle des services qui peuventleur etre prodigues. Cette simplification de l'interaction et desactants definit les personnes pauvres comme des etres de besoin, uneexistence << en creux >> que l'intervention a la foisdefinit et renforce. On est ici au plus pres du paradoxe bien connu del'intervention: sa finalite est de se rendre inutile, mais enabordant les gens comme devant-etre-aides, elle devient interminable. L'enjeu n'est pas qu'academique. Les groupessubalternes peuvent-ils se situer hors des cadres qu'on leurpropose? L'hegemonie de ces conceptions << assistancielles>> est-elle complete? Les pauvres se pensent-ils dans des termeset d'une facon qui les definit comme pauvres? N'y a-t-ilqu'une seule facon de s'inserer dans le champ social de lapauvrete? La suite de ce texte cherche a lever une partie du voile et,sans pretendre regler la question, montrera que la situation est pluscomplexe qu'il ne semble. On peut discerner plusieurs facons des'inserer. Sans necessairement etre pensees en termescontradictoires, elles peuvent etre suffisamment differentes pourqu'on puisse envisager la question de la lutte a la pauvrete commeun domaine ou se retrouvent des facons differentes de se presenter commesujet. Celui-ci se revelera dans les strategies qu'il deploie:imaginer, prevoir, analyser, decider, agir et reflechir sur soi sontautant de facettes d'une capacite a se poser en sujet. Methodologie: une recherche sur les pratiques en securitealimentaire Cette perspective a lentement emerge lors d'une rechercheentreprise sur les pratiques de securite alimentaire auSaguenay-Lac-Saint-Jean. Les enquetes faites dans d'autres regionsdu Quebec (Beeman et al. 1997; Rouffignat et al. 2001) relevaient quepeu de personnes en situation d'insecurite alimentaireparticipaient aux activites ou aux organisations cherchant a interveniren ce domaine, mais elles n'offraient pas d'explicationconvaincante de cette faible participation. La recherche que nous avonsentreprise visait a produire des interpretations raisonnables et, enconsequence, a adopte une demarche qualitative et interpretative(Silverman 1993). Elle a ete faite en deux phases. La premiere visait amettre ajour les analyses et interpretations de la pauvrete et del'insecurite alimentaire presentes chez les intervenants. Ceux-ciont ete selectionnes en fonction de leur experience, de leurlocalisation geographique et de leur appartenance a un des deux universdirectement concernes par la question de l'insecurite alimentaire:le milieu communautaire et celui des institutions publiques. Ils ontdonc ete choisis non sur une base aleatoire, mais a partir de leurimplication: ce sont des << experts >> ayant uneconnaissance fine du territoire sur lequel ils travaillent depuisplusieurs annees (4). C'est ce que Pires (1997) appelle unechantillon d' << intervenants strategiques >>. Leurposition leur donne une perspective globale de leur localitesous-regionale, de l'usage qu'on y fait des ressourcessociales et des difficultes qu'on y rencontre. Des entrevuesindividuelles ont ete realisees en aout et septembre 2003; leur dureevarie de 60 a 120 minutes. Le premier theme general de l'entrevueetait la sensibilite a la problematique de la pauvrete et al'insecurite alimentaire. Il se subdivisait en deux sous-themes:informations sur l'etat de pauvrete selon le territoire (local etregional); l'insecurite et sa prise en charge. Le second themegeneral portait sur les reponses du milieu; ses sous-sections etaient:les besoins d'intervention en matiere de securite alimentaire, lereseautage des groupes ou institutions qui offrent de l'aide et,enfin, les pistes d'intervention souhaitables. Ces entretienspermirent de mettre en evidence les categories cognitives (qu'onpeut aussi appeler mentales, culturelles ou ideologiques) et les cadresd'interpretation produits par les interlocuteurs (Blanchet et al.1985; Kvale 1996; Schensul, et LeCompte 1999:122-26). Sur la base de ces informations fut entreprise une seconde etapedont le but etait de voir si la caracterisation des personnes et despratiques formulees par les intervenants, sur lesquelles nousreviendront plus loin, trouvaient un echo aupres de personnes ensituation d'insecurite alimentaire. Comme l'usage d'unservice influence la perception de la situation et que, symetriquement,il est possible qu'une personne utilise un service parcequ'elle est differente de la << moyenne >> despersonnes en situation d'insecurite alimentaire, il fut decide derencontrer des personnes usageres et des personnes non-usageres. Pourles personnes usageres, l'entrevue abordait trois themes generaux,eux-memes subdivises en sous-themes: (1) Perception de la situationalimentaire (conditions de vie; budget en general, et budget alimentaireen particulier; sentiments face au manque de nourriture; menu ethabitudes alimentaires); (2) Comment la personne concoit son recours al'aide (utilisation d'autres organismes, sentiments face auxservices recus); (3) Comment la personne concoit le reseau d'aidealimentaire (raisons de la frequentation de la ressource, sentiment facea la reception d'aide, effets et impacts de la frequentation del'organisme). Les entrevues avec les personnes non-usageresreprenaient sensiblement les memes themes, mais en insistant plutot surles causes de la non-frequentation. Les sous-themes abordes etaient:Comment la personne concoit-elle son absence d'utilisation?A-t-elle eu par le passe recours a des ressources d'aide? Si oui,pourquoi a-t-elle cesse d'y avoir recours? La connaissance desressources et de gens les ayant utilisees constituait le derniersous-theme. L'echantillon de la deuxieme phase se composait de 28personnes usageres ou non-usageres de ressources d'aide en securitealimentaire. Il s'agit ici aussi << d'acteursstrategiques >>, car les personnes recrutees sont directementaffectees par la problematique de securite alimentaire.L'echantillon respecte la repartition de la population pour chacunedes sous-regions (60% pour le Saguenay et 40% pour le Lac Saint-Jean).Les 25 entrevues (15 aupres de personnes usageres et 10 aupres depersonnes non-usageres) ont ete realisees en 2004, generalement audomicile des participant-e-s. De ce nombre, on compte 22 entrevuesindividuelles et 3 entrevues avec deux repondant-e-s, la duree desenregistrements variant de 35 minutes a 2 heures. Comme pour la premierevague de collecte, l'analyse a ete largement inductive, laconstruction des codes thematiques se produisant << de haut en bas>> (LeCompte et Schensul 1999: 67-75) afin de faire emerger descategories endogenes. Ce type d'echantillon n'est pas--ni ne cherche aetre--representatif au sens statistique. I1 a ete construit afin defaire ressortir certains traits vus, par hypothese, commeparticulierement interessants et ses limites sont celles que lui donnela << saturation >> des informations (Kvale 1996: 92-94). Lebut etait de voir quelles etaient les pratiques, mais aussi lesinterpretations (le << vecu >>) des personnes. Lesinformateurs illustrent donc, chacun a leur facon, une position possibledans l'espace socialement defini de l'insecurite alimentaire.L'analyse aura atteint son but si elle produit un portraitconvaincant et coherent de la situation etudiee. La generalisationpourra alors etre faite en formulant un enonce plus large a partir desdonnees presentees plutot qu'en elargissant a l'ensemble de lapopulation certains des traits releves dans l'echantillon retenu. Nous ne pretendons donc pas generaliser les resultats al'ensemble des personnes intervenant dans le champ de la lutte a lapauvrete. Le but de notre recherche est de savoir comment pensent ceuxet celles qui pensent de cette facon, non de savoir combien pensentainsi (Seale 1999:109-13). Cette construction de l'echantillongrossit le trait afin de faire ressortir avec clarte les aspectsrecherches. Le produit est donc moins une description qu'unideal-type. C'est pourquoi la presentation qui suivra ne chercherapas a rendre compte de l'ensemble des variations presentes dans desdiscours beaucoup trop riches pour qu'on pretende en rendre compteentierement dans l'espace qui nous est imparti. Si les sections suivantes donnent une image simplifiee de lasituation, c'est qu'elles visent a presenter le socle surlequel se batiront les variations. Pour construire cette base, nousavons retenu ce qui revenait avec le plus de force, c'est a dire,mais pas toujours, le plus frequemment. L'importance d'unenonce tient moins a la frequence de son occurrence qu'a sacentralite dans la construction des arguments (Ricoeur 1986:224). Lelecteur comprendra aisement que nos informateurs ne sont jamais unanimeset qu'aucun d'entre eux ne partage entierement tout le contenudes sections suivantes. Il faudra une autre recherche, utilisantd'autres methodes, pour demontrer quelle proportion desintervenants et des personnes (non-) usageres partagent les patternsqu'elles presentent. Il faut rappeler que les informations ont ete recueillies lorsd'entrevues. Elles sont issues des declarations des informateurset, bien que la qualite des relations soit telle qu'il est peuprobable que beaucoup aient menti, l'interpretation des discours nepresume pas de la << verite >> des enonces. Ainsi,lorsqu'une personne en situation de pauvrete nous parle de sesliens avec ses parents et de leur utilite pour parvenir a boucler sonbudget, nous n'avons pas vu ces liens, nous n'avonsqu'entendu l'informateur nous en parler. De ce point de vue,les strategies presentees sont elles aussi des representations: ce sontcelles que l'informateur presente au chercheur. Enfin, l'objet du present texte est l'intervention enmatiere de lutte a la pauvrete. L'insecurite alimentaire estl'occasion de reflechir a quelques traits fondamentaux de cetteintervention, mais une description complete de la situationd'insecurite devra faire l'objet d'une autre publication(5). Nous commencerons par quelques aspects fondamentaux de ce que nousont dit les personnes intervenantes et, ensuite, ce que nous ont confiedes personnes usageres et non-usageres de ressources en securitealimentaire. Du point de vue ales intervenants La pauvrete: dimensions et manque de resources Nos informateurs ont une vision fine de la pauvrete. Dans leurdiscours, on peut identifier deux dimensions qui synthetisent lecontexte materiel de la vie des personnes pauvres. La premiere estprevisible: il s'agit de la pauvrete comme manque de ressourcesfinancieres. Fondamentalement, etre pauvre, c'est ne pas avoirassez d'argent et la facon la plus simple de le representer est dereprendre la notion de seuil: au-dessus, on a des revenus suffisantspour ne pas etre pauvre; au-dessous, on est dans la pauvrete. Enrealite, il s'agirait plutot d'un continuum de tinesgradations et c'est pourquoi, plutot que d'identifier unseuil, il conviendrait de parler de l'intensite de la pauvrete. A cette dimension financiere s'en ajoute une autre plus axeesur la dynamique de la pauvrete que sur la quantite de ressources. Nosinformateurs distinguent en effet la pauvrete selon qu'elle dure(ou a dure, ou durera selon eux) longtemps, ou peu de temps. C'estce que presente la citation suivante: Et il y a la pauvrete temporaire, qui celle-la n'est pas tres grave. Les gens s'en sortent, on le voit souvent. Les gens qui sont sur l'aide sociale depuis moins d'un an, c'est souvent ca, c'est des accidents de parcours. Ils vont se rattraper assez rapidement sous toutes sortes de formes. Mais ceux qui sont la depuis longtemps ... Et avec le temps c'est des problemes qui deviennent des fois quasi insolubles. A intensite egale, la pauvrete la plus breve sera la moins grave.Cette citation presente aussi des consequences pragmatiques connexes. Onaura note, par exemple, que l'informateur glisse tout doucementd'une reflexion sur la pauvrete a une reflexion sur l'aidesociale, ce qui situe la pauvrete sur le registre de l'aidepublique; etre pauvre et (devoir) etre aide vont de pair. Par ailleurs,plus la duree du sejour en pauvrete sera longue, plus difficile--voireimpossible--sera la sortie. La duree est donc une especed'indicateur de la difficulte de l'intervention et desobstacles a l'aide. A cette symptomatologie d'ajoute uneallusion aux causes (les << accidents de parcours >>),qu'on peut aussi comprendre comme une reflexion surl'inscription personnelle de la pauvrete dans le pauvre: a durertrop longtemps, elle devient, non un incident biographique, mais untrair marquant. Ces deux dimensions peuvent se croiser pour presenter une typologiedes situations de pauvrete (Fig. 1). Dans la premiere case (- -) setrouvent, par exemple, les personnes vivant dans un menage forme de deuxetudiants. Dans la seconde (- +) peut se trouver une personne, ou unmenage, qualifiee mais ayant perdu son emploi. Dans la troisieme (+ -)on pourra retrouver un monoparent ayant des enfants a charge et unemploi precaire. Enfin, dans la quatrieme case, on retrouvera les gensvivant de la securite du revenu et eloignes depuis longtemps du marchedu travail. L'utilite de cette typologie est de permettre un classementqui indique une priorite des << cas >> : dans une logiquetoujours dictee par l'urgence, on orientera prioritairementl'intervention vers les << cas >> les plus pressants(les+ +) (6). Elle est, en d'autres termes, non seulement unetypologie des situations, mais aussi des personnes se trouvant dans cessituations, celles-ci (les situations) permettant ainsi d'engloberles personnes et de les definir--au sens strict: d'indiquer ouelles commencent et ou elles finissent du point de vue del'intervention. Cette vision dichotomique minimise la gradation entre lespositions. Il faudrait insister sur l'inegale repartition despersonnes dans l'espace de la pauvrete defini par le croisement desdeux dimensions. On peut penser, en effet, que la plupart des gens seretrouveront dans une position moyenne. Nos informateurs, fort capablesde tracer ce portrait finement detaille des situations de pauvrete,l'oublient cependant lorsqu'ils decrivent les caracteristiquesde la pauvrete sur leur territoire. En effet, une fois presente le champdes possibilites, leurs discours ne portent pratiquement plus que surles situations extremes qui sont aussi, comme on le verra ci-dessous,les plus difficiles. Cette reduction du champ semble confirmerl'idee que cette typologie sert a identifier les prioritesd'intervention et, du meme coup illustre comment peut se construirece qui ressemble fort a un stereotype, ou une image minoritaire maisdramatique devient la figure essentielle organisant les comportements(Taguieff 1988:243). La distribution dans cet espace dependra des ressources detenuespar les personnes. Elles sont de plusieurs ordres et sont loin de selimiter aux seuls aspects financiers. Ceux-ci sont importants, maisn'existent que lies a d'autres aspects, le tout composant unportrait complexe et relativement coherent. C'est ce que montre lacitation suivante: Et la pauvrete ... c'est sur que c'est la pauvretemonetaire, mais aussi la pauvrete au niveau des connaissances, au pointde vue academique aussi, mais au point de vue de l'information, aupoint de vue ... Les personnes sont comme demunies dans tous les sens,pas juste du cote alimentaire la, c'est dans tous les sens. Ils neconnaissent pas leurs droits, ils ne connaissent pas ce qu'ilspourraient faire pour changer la situation ... C'est vraiment unepauvrete' generale que je peux ... Et il y en a qui sont limitesaussi alors ... (Entrevue 3) On y voit qu'a l'absence de moyens financierss'ajoutent des caracteristiques educationnelles et cognitives: ilsne savent pas, ne connaissent pas, n'ont pas appris. Cet ensemblede traits negatifs joue comme un systeme de contraintes qui produit une<< pauvrete generale >>. L'insistance del'informateur a dire qu'ils sont pauvres dans << tousles sens >> montre bien qu'on se trouve dans la case des<< + + >> de la Figure 1 (intensite forte, duree longue),qui devient un cas d'espece valant pour l'ensemble de ce donton parle, alors meme que la question posee n'orientait pasl'informateur vers ce sujet. Cette mise aux extremes montre commentse constitue un stereotype. Il ne s'agit pas seulement de traits exterieurs aux personnes.L'education n'est pas qu'un ensemble de << choses>> qu'on sait, elle est une conformation de l'individuaux regles de la vie sociale. Manquer d'education, c'est nepas avoir les traits comportementaux qui permettent de s'inserer ensociete et, d'abord, en emploi: C'est au niveau educationnel, de ne pas arriver d l'heure... Moi je vois ca comme un genre de pauvrete la ... je ne sais pas sica se limite a l'alimentation ... mais je vois ca aussi comme ...ils n'arrivent pas a l'heure ... ils vont arriver pour uneentrevue, bien ... Beaucoup l'education ... Ils ne sauront pascomment s'habiller, ils ne sauront pas comment bien se presenter,comment bien articuler ... C'est toutes des choses comme ca que moije vois. Le non respect des regles, le non respect des autres. Je nesais pas ... on le voit d l'hygiene aussi. (Entrevue 4) Les pauvres ne respectent ni les regles, ni les autres, ne saventpas s'habiller, ne savent pas gerer un horaire; rien de surprenanta voir qu'ils trouvent difficilement un emploi. Ils portent doncune responsabilite dans leur situation: celle-ci decoule de cequ'ils sont, comme l'indique la citation suivante: Il y en a aussi qui sont pas ... ils n'ont pas une tres grandeintelligence, ils ne sont pas debrouillards alors ils ne sont pascapables de trouver d'emploi. On en a un jeune de 21, 22 ans quivit avec sa mere. Il a fallu l'habiller, il a fallu l'aider.Il n'est pas capable de se debrouiller par lui-meme. >> (Entrevue 16) La citation presentee au tout debut de ce texte va dans le memesens: la pauvrete n'est pas hors des personnes, comme unecirconstance ou un contexte. Elle est en elles, comme un traitexistentiel. Si on veut sortir les gens de la pauvrete, ce qui estevidemment le but de tous nos informateurs, il faudra donc commencer parsortir la pauvrete des gens. La chose sera d'autant plus difficile que ces faconsd'etre sont apprises des le plus jeune age. Un informateur disait:<< la pauvrete c'est comme la maladie: ca se transmet degeneration en generation >>. La citation suivante, d'un autreinformateur, va dans le meme sens: Les familles souches c'est des familles pauvres assistessociaux de generation en generation. Du monde qu'on pensequ'on pourra jamais rien faire avec eux autres [...] C'estcomme des familles qui sont bien ancrees. De la famille elargie ...soeurs, belles-soeurs, freres, etc. C'est comme emprisonnes dansleur petit cocon et tu les vois nulle part en ville, tu ne les vois pasdans les activites, ca s'implique dans rien, ca n'a pasbeaucoup de revenus, etc.... >> (Entrevue 4) Nous voici bien dans la culture de pauvrete: un systeme transmis,appris, de regles, de comportements et de facons d'etre quientretiennent les conditions qui les rendent possibles.L'informateur identifie aussi le mecanisme essentiel de cettetransmission: la famille, dont la consequence est de creer unemarginalite (<< dans son cocon >>) et une exclusion(<< tu les vois nulle part >>). On est a la limite dunon-etre. Les pauvres et leurs traits Nos informateurs ont donc, dans l'ensemble, une vision deschoses qui est loin de se limiter a une vision economique ou financiere.Leur comprehension est sociale au sens large du terme, incluant lastructure familiale, les savoirs (savoirs-etre autant que savoirs-faire:l'ensemble des competences sociales), le rapport a la communauteenvironnante, la relation entre l'individu et les regles du marchedu travail, etc. Leur analyse inclut de nombreux facteurs mais, malgrecette finesse, elle est centree sur les situations extremes et tend anegliger les situations intermediaires. En ce sens, les << vrais>> pauvres sont ceux qui le sont beaucoup (la question del'insecurite alimentaire etant ici exemplaire) et longtemps, voireplus longtemps que la vie d'une personne, la reference aux <<familles-souches >> se montrant particulierement illustrative acet egard. Peut-etre cela expliquet-il ce qui est sans doute un destraits les plus frappants du discours des intervenants que nous avonsrencontres: la caracterisation negative des personnes. Tous les traitsapparaissent sur le mode negatif, celui du manque et del'incapacite: les pauvres ne savent pas, ne voient pas, ne peuventpas, ne s'impliquent pas, etc. On cherche vainement les aspectspositifs indiquant un potentiel de changement, sur lesquels devraitpourtant s'appuyer une approche de l'intervention qui voudraitdevelopper l'empowerment individuel et collectif (Ninacs 2002) (7). Tous ces traits concernent les individus, non la situation ou ilsse trouvent. Nos informateurs, bien qu'ils soient, pour la plupart,au fait des difficultes regionales, les releguent au rang de <<contexte >>. En realite, leur discours porte sur les pauvres, nonsur la pauvrete (8). Cette elision des dimensions structurelles donne le cadre essentielpermettant d'organiser l'intervention et, d'abord, dejustifier cette intervention elle-meme: les pauvres etant incapables,ils auront besoin et ne peuvent pas ne pas avoir besoin d'unepersonne capable de changer les choses. Changer quoi? Essentiellement dechanger les traits qui definissent les pauvres et les enferment dans lapauvrete (9). Les organisations offrant des services, qu'ellessoient etatiques, para-etatiques ou communautaires, sont le lieuessentiel pour le faire car, laisses a eux-memes, les pauvres serontincapables de developper des strategies appropriees. Comment lepourraient-ils, puisqu'ils sont definis par l'incapacite? Laparticipation des pauvres aux activites des organisations sera donc vuede facon positive, comme un signe d'un effort (pro-)actif pourameliorer sa condition. Il s'agira donc de l'encourager. Defacon similaire, l'intervention consistera a elargirl'eventail des services offerts aux personnes, afin d'offrirune reponse a leurs besoins. Ceux-ci etant par definition innombrableset infinis (les pauvres sont des etres-de-besoin), l'offre deservices ne pourra qu'etre interminable, ce que Rouffignat et al.(2001) avait appele le << gouffre des services >> (10). Ilest clair que la position des intervenants, ceux-celles dont c'estla fonction et le metier que d'offrir ces services, y trouveront laconfirmation de leur role et une demonstration de la necessite de laperennite de leur situation. On voit comment se constitue un cadre d'interpretation de larealite ou les positions des sujets s'etablissent en relations lesunes avec les autres: la definition des etres-de-besoin appelle unsujet-intervenant apte et competent pour repondre a ces besoins. Elleamene aussi, simultanement, un mode d'interrelation entre cessujets: l'intervention. Cette triade est orientee del'intervenant vers les pauvres; on retrouve ici l'asymetrieidentifiee par Paugam et le bris de la relation reciprocitaire donttraite Ogien (1983). Du point de vue des personnes en situation de pauvrete Mais la triade est-elle aussi hegemonique que cette presentation lelaisse croire? Les positions relatives qu'elle instaure sont-ellesles seules possibles? Dans les paragraphes qui suivent, je voudraismettre en perspective les efforts d'autonomie deployes par lespersonnes en situation de pauvrete que nous avons rencontrees afin demontrer que si la relation d'intervention instaure une inegalite,elle n'occupe pas a elle seule tout le terrain. Les personnes ensituation de pauvrete, au moins celles que nous avons interviewees dansle cadre de la recherche sur les pratiques de securite alimentaire,n'existent pas uniquement en tant que participants et objets decette interrelation qu'est l'intervention. Cette interrelationn'est qu'un des ingredients de leurs efforts pour surmonterles difficultes dans lesquelles les mettent leur situation. La placequ'elles occupent ne peut etre ramenee a la seule dependance faceaux interventions d'experts. Dans l'elaboration et larealisation de leurs efforts, elles se manifestent comme des acteurscherchant a conserver (ou a obtenir) un controle sur leur vie, ce quedemontre leur refus generalise de se presenter comme personne pauvre. [FIGURE 2 OMITTED] L'elaboration des strategies domestiques Les circonstances materielles d'existence de nos informatrices(11) sont telles qu'elles obligent a une reorganisation de pansentiers de la vie quotidienne. En s'interessant a comment elless'y prennent, on se retrouve face a un ensemble de facons de faire,de trucs, de methodes pour arriver a joindre les deux bouts. Ils ne sontpas sans rappeler que la polyactivite et un aspect fondamental desstrategies de survie (Fontaine 2008). On peut appeler ces methodes desstrategies: un ensemble de moyens organises afin d'arriver a unbut. La Figure 2 resume les principales strategies utilisees dansl'espace domestique, c'est-a-dire celui de la famille, desrelations amicales et du voisinage. Il s'agit d'un espaceemergeant de facon spontanee, sans plan d'ensemble et sansressources externes. Il s'organise en trois grandes categories: lesstrategies de planification, d'adaptation et de privation. Le premier type de strategie consiste a planifier, a prevoir et aorganiser. On achetera en fonction des speciaux offerts, de la saison,des moyens de transport. On choisira aussi les menus les plusappropries: on les variera selon la periode du mois, la duree de vie desaliments, les besoins du menage, etc. Enfin, on organisera lesressources financieres selon les postes budgetaires. Plus fort est ledenuement, plus pressant sera le besoin de planifier, le moindredesequilibre pouvant avoir des consequences dramatiques surl'ensemble du budget. La distinction fondamentale est sans douteentre ce qu'il est possible de prevoir, et l'imprevisiblequ'on ne peut eviter. Lorsque celuici se produit, il faudra fairedes choix et decider en fonction de ce qui est possible et necessaire. Le deuxieme type de strategie consiste a s'adapter a lasituation en modifiant et ajustant les habitudes alimentaires ou, defacon plus generale, les habitudes de vie. Nos informatrices nous ontainsi decrit comment elles developpent des menus sans viande, ouutilisant des aliments plus bourratifs, avec moins de lait, plus de painet de pates, etc. Cela peut parfois prendre des formes surprenantes etevidemment nuisibles a la sante, comme le montre cet echange avec uninformateur: Je me suis paye ... ca m'a coute 12$ je pense ... Je me suisachete une bouteille de produits naturels, c'est des coupe-faim etje prends ca. Intervieweure: Est-ce que c'est efficace? Oui c'est efficace parce que j'ai pas faim a l'heureactuelle. J'ai pas dine a l'heure actuelle la, j'ai pasdejeune et j'ai pas dine, j'ai pris ma capsule ... Ca faitdepuis 3 semaines que je les prends et c'est vraiment ... (Entrevue 6) On peut aussi citer en exemple cette informatrice qui donnait a sesenfants de la boisson gazeuse plutot que du lait (12). Enfin, on peutadapter les habitudes de vie: se lever tard pour ne pas avoir a dejeunerou souper tot pour ne pas avoir a offrir de collation aux enfants. La troisieme categorie de strategies consistea diminuer laconsommation au strict minimum, par exemple en transformant lanourriture pour qu'elle dure plus longtemps. En dernier recours,des informateurs et des informatrices doivent parfois se priver denourriture. La privation est le moyen le plus frequemment deploye dansles periodes de crises par ces personnes les plus vulnerables en termesde revenu, d'isolement et de manque de competences culinaires. Dansces moments, des repondant-e-s en situation familiale avouent accorderla priorite aux enfants. Il n'est pas rare qu'un parent,surtout la mere, se prive pour assurer un minimum de nourriture auxenfants. Ces types de strategies sont concurrents. Leur utilisation estsimultanee et combinee, bien qu'on puisse y voir une gradation dansla gravite. Il est clair qu'elles representent des moyens de luttercontre l'insecurite alimentaire plus que d'arriver a lasecurite: ce sont des strategies defensives qui ne permettent guere deparvenir a ces << choix nutritionnels eclaires >> chers auxnutritionnistes. Elles permettent de survivre, mais n'ont pasd'effet en amont de la situation. Qui plus est, dans la mesure ouelles ont une certaine efficacite, elles peuvent, une fois interioriseespar les acteurs et integrees a l'ensemble des comportements,diminuer la motivation a avoir recours a des ressources organiseesceuvrant de facon plus positive vers la securite alimentaire. Elles ontdonc a la fois des consequences positives et negatives. Elles demandent aussi une certaine mobilisation de ressources.Parmi les plus essentielles et les plus utilisees (car peu <<couteuses >> a acquerir et a mettre en oeuvre), on compte lesressources sociales fondees sur la solidarite et, au premier chef, surla solidarite familiale. Un tres grand nombre d'informatrices nousont relate des exemples d'appuis provenant de parents ou decousins, vers lesquels on se tourne pour obtenir de l'aide moraleou materielle en cas de coup dur, ou sur une base plus stable etpermanente. Le noyau fondamental semble etre le couple mere-fille et lesupport semble descendre les generations plus que les remonter (ondemandera de l'aide a sa mere plus facilement qu'on endemandera a sa fille) mais la chaine des solidarites peut etre plusenchevetree. Voici trois citations provenant de la meme informatrice. Lapremiere montre bien l'etendue du reseau familial. Ma grand-mere elle a une niece qui a un enfant et elle me donnetout son linge et il a l'age ... il a peut-etre un an de plus quemon garcon fa que ... Et apres ca j'en ai une autre qui en donne ama belle-mere pour ma fille, c'est une petite fille qu'elle amais elle a 5, 6 ans fa que tout son linge de bebe elle m'envoieca. (Entrevue 1, personne non-usagere) La seconde citation montre que, le cas echeant, cette chaine peutdeborder le reseau familial et s'etablir selon la proximitespatiale, sans que les deux types de reseaux soit necessairement tresdistincts. On remarquera que les rapports semblent plus marques par lareciprocite que dans la citation precedente: les contraintes financierespeuvent produire des similitudes de mode de vie, des effets devoisinage. J'ai une de mes amies qui m'en passe, mes parents ils m'en passent des fois, bien quand ils peuvent aussi la t'se, c'est pas evident pour tout le monde la, c'est tout ... c'est quasiment tout ... la societe qui est comme ca, en tous les cas dans ce coin-ci la il y en a pas bien bien qui sont plus riches que les autres et qui sont faciles ... en tous les cas ... en tous les cas ... Tout mon entourage ils ont de la misere d arriver tout le temps la, c'est dur! La troisieme indique que l'informatrice ne subit paspassivement ces contraintes spatiales. Si l'eloignement nuit au bonfonctionnement du reseau familial, il est possible de se deplacer: Informatrice: << La derniere semaine [du mois] euh ... jecompre les tranches de pain. Si je peux aller m'en chercher chez mamere, je vais m'en voler quelques unes ... Intervieweure: Votre mere habite ici a ... a X? Informatrice: Oui. C'est pour ca que j'ai demenage icid'ailleurs. >> Si le reseau familial est spontane et involontaire, il n'estpas sollicite au hasard. Il est empreint d'une certaine obligationmorale, qui n'est pas insurmontable (on n'est pas oblige decollaborer, et les sanctions resteront essentiellement du domaineprive), mais qui est suffisamment pregnante pour qu'on nelecomprenne pas uniquement sous l'angle d'un << contratsocial >> libre. L'individu n'y est donc pas totalementautonome et subit des contraintes informelles, mais reelles (13). Lereseau de voisinage, pour sa part, n'a pas la meme colorationd'obligation morale, mais les << effets de voisinage >>peuvent renforcer des reseaux d'echanges mutuels et de reciprocite(donner-recevoir-rendre), dont on sait qu'ils impliquent eux aussiune certaine obligation (Godbout 2000). De plus, la perted'anonymat qu'il risque d'entrainer--ce que deplorent laplupart de nos informatrices--peut avoir des consequences negatives etentrainer des << couts >> sociaux. En resume, ces reseaux centres sur l'individu et organises parlui (on peut donc les dire << ego-centres >>) ne sont pasmobilises sur une base gratuite, mais fonctionnent selon le principe dudon, ce qui signifie qu'ils ne sont pas totalement libres decontrainte. De la meme facon, le reseau familial est generalementvolontaire, mais pas entierement. La encore, son usage implique unecertaine perte de liberte. Cette limitation de l'autonomie estprobablement generalisee dans ce type de liens. Tout l'art de leurusage consiste a maximiser ce qu'ils offrent d'autonomie et aen minimiser les contraintes. L'elaboration des strategies publiques A ces strategies domestiques s'ajoutent des strategies situeesdans l'espace public. Elles sont tres probablement moins utiliseesque les strategies privees (14), mais elles sont interessantes pour lechangement qualitatif qu'elles impliquent. Elles mettent en effet al'oeuvre des reseaux non-ego-centres (a la difference des reseauxfamiliaux ou de voisinage) et materialisent des relations socialessecondaires, reflechies, formalisees, et apparaissent sous la formed'organisations. Certaines sont d'origine caritative etprennent la forme d'un don sans reciprocite, le cas d'especeetant le panier de provisions distribue a l'epoque de Noel.D'autres sont plutot associees a des structures bureaucratiquescomme les CLSC. C'est alors le besoin associe a l'exercice dela citoyennete qui prevaut. D'autres organisations participent auxdeux et sont plutot incarnees dans les organisations communautaires(15). A la difference des reseaux domestiques, ces reseaux publics sontouverts et y etre inclus releve d'une decision personnelle: il faut<< faire le pas >>. Cela est loin de signifier qu'yavoir recours est facile et sans contrainte, comme le montrent lesstatistiques sur la frequentation. Encore faut-il connaitre leurexistence: nos entretiens laissent croire que les modes impersonnels(campagne publicitaire, articles dans la presse, etc.) ne sont guereefficaces et que le bouche-a-oreille est encore le meilleur moyen de sefaire connaitre. Cela signifie que les organisations formelles ontbesoin, pour recruter, d'une transmission directe: amis, parents,voisins, medecin, travailleur de CLSC. Le deuxieme type de contrainte tient aux ressources forcementlimitees dont jouissent ces organisations. Chacune devra etablir descriteres permettant de limiter la demande. Les criteres territoriaux(relever du territoire de l'organisme) sont frequents, mais onrencontre aussi des criteres categoriels, comme nous le relate uninformateur: << ... j'ai demande de l'aide et on m'a dit:pour les personnes seules, une fois par annee, c'est assez. On atellement de demandes de familles, que les personnes seules la ... [...]Quand t'es une femme, t'as beaucoup plus de facilite. Sit'es une femme avec des enfants, t'es monoparentale, t'asencore plus de facilite. Si t'es un homme seul, t'en as pas,pas du tout. >> (Entrevue 6, personne non-usagere) Cette necessite de limiter l'offre, qui est inevitable comptetenu des moyens a la disposition des organisations, provoque donc uneimpression d'arbitraire ou d'injustice, ce qui demontre ladistance entre le << vecu >> de l'acteur et celui desorganismes d'aide. Ces deux types de contraintes ne sont pasinsurmontables, mais elles ne garantissent pas l'usage desressources formelles. Nos informatrices nous ont fait de nombreusesremarques sur l'importance d'etre accompagne pour utiliser lesressources formelles. Laissee a elle seule, la personne en situationd'insecurite alimentaire aura de la difficulte ou de la reticence a<< faire le pas >>, comme le montre la citation suivante: Si on m'avait dit c'est quoi les procedures, comment cafonctionne ... la ca aurait ete different. Mais la peur del'inconnu fait une grosse difference. Je sarais pas dans quoi jem'embarquais, je savais pas d quoi ca ressemblait. Donc, je voyaisdu noir en avant de moi donc ... (Entrevue 7, personne non-usagere) Mais la contrainte la plus importante est sans nul doute la hontequi s'attache au fait d'avoir besoin de recourir a uneressource d'aide. Plus encore que la distance, les criteresrestrictifs ou la peur d'un formalisme avec lequel on est peufamilier, elle est le facteur sur lequel nous avons rencontre le plusd'unanimite. Elle represente en effet un aveu d'echec et lapreuve qu'on est incapable de s'en tirer par soi-meme, descommentaires que nous avons peu entendus a propos de l'aide recuedu reseau primaire. De ce point de vue, aller dans une organisation,c'est non seulement etre pauvre, mais s'avouer pauvre.L'anonymat des villes sera alors preferable al'interconnaissance trop grande des villages ou des quartiers: Je me sens pas a l'aise avec ces affaires-la. Je sais pas, jesais pas. Si je suis pauvre, je veux pas que le monde le sachent. (Entrevue 21, personne ex-usagere) En resume, il existe des reseaux non ego-centres ou l'acteuraura a s'inserer par un acte volontaire. Ils sont a des degresdivers de formalisation et, generalement, ils sont plus polyvalentsqu'un systeme bureaucratique, c'est-a-dire qu'ilsconjuguent des usages multiples et parfois imprevus. Ils permettrontd'obtenir de la nourriture, mais aussi des amis, de l'entraideet de l'estime de soi. Loin de se limiter a la nourriture, ilspourront simultanement concerner le logement, les vetements ou letransport--ce qui montre qu'il faut avoir une conceptiontransversale des principaux champs de survie. Mais pour le voir, il fautse placer du point de vue de l'acteur, non de celui des servicesqu'on doit lui prodiguer. Conclusion We must rethink social action into the process by which meaning isconstructed through interaction. Melucci (1994:109) L'intervention sur la pauvrete est une interaction mettant enrapport des positions de sujets interreliees ou les pauvres sont definiscomme des etres de besoin. Ils sont ainsi situes en objets, et lestraits de cette objectivation leur font porter une part de laresponsabilite de leur situation. Consideree depuis le point de vue desintervenants qui y sont hegemoniques, cette position simplifie larealite, qui devient ainsi plus << lisible >> (Scott1998:9-84) et definie conformement a l'objectif de manipulation.Par un etrange retour de la << culture de pauvrete >>, lescomportements, de consequences de la situation de pauvrete, deviennentune partie de sa cause. Ce renversement donne a l'intervention unobjectif: lutter contre la << culture de dependance >>plutot que contre la condition objective de pauvrete. Les sections de ce texte portant sur les discours professionnels enmatiere de securite alimentaire l'ont illustre, mais elles ontaussi laisse entendre que ces discours ne resument pas l'ensembledes possibilites. Les personnes en situation de pauvrete peuvent tenirdes discours et des pratiques qui se modulent autrement et leur laissentune position de << sujets contre-hegemoniques >>, plusautonomes et sachant se situer hors de la relation d'assistance enfaisant appel a de plus amples modalites d'action sur la viequotidienne. L'interpretation opposee que font, du recours auxorganisations de lutte a l'insecurite alimentaire, les intervenantset les personnes en situation de pauvrete illustre bien la distanceentre ces positions. Les premiers y voient une dynamique positive, carimpliquant une socialisation, une ouverture sur l'espaceextra-domestique, et donc une sortie de la culture de pauvrete. Lespersonnes en situation de pauvrete que nous avons rencontrees y voientun recours a un mode de fonctionnement avec lequel elles ne sont guerefamilieres; elle est une solution de derniere limite demandant uneadmission du stigmate attache a la pauvrete. Elle represente donc unepreuve de l'incapacite a trouver par soi-meme ses solutions etillustre une relation de dependance. Ceci peut donner une piste decomprehension de la resistance des personnes en situation de pauvrete afaire usage des ressources organisees de lutte a l'insecuritealimentaire. Cependant, dans l'etat actuel de nos informations, ils'agit encore d'une hypothese qui demanderait a etre testeesur un echantillon plus large et statistiquement plus representatif. Il est important de rappeler que nous ne savons pas si lespersonnes rencontrees sont << typiques >> ni quel est ledegre de generalite de leurs positions. De meme, il ne faut passous-estimer la diversite des opinions et des pratiques: nulle part ence domaine ne regne l'unanimite. Ce ne sont pas tous lesintervenants qui adherent a l'idee de la culture de pauvrete, ni aumeme degre. De meme, ce ne sont pas toutes les personnes en situation depauvrete qui savent coordonner leurs actions avec << competence>>. La constante reapparition de la notion de << culture depauvrete >> montre que son emergence depasse le strict contexteamericain des annees soixante. De plus, qu'elle soit soutenue pardes personnes en contact etroit et quotidien avec la pauvrete faitdouter qu'il s'agisse d'un simple << prejuge>> issu de l'ignorance (contra Allport 1954). Une hypotheseraisonnable serait de la considerer comme un discours contribuant a laconfirmation d'un social discipline (Rose 1999). De meme, la notionvoisine de stereotype semble de peu d'utilite dans ce contexte,caril s'agit moins d'identifier un processus cognitif fausseque de voir comment se developpe un discours permettant et legitimantune pratique. Peut-etre l'insecurite alimentaire est-elle un aspect tresparticulier de la pauvrete; son lien avec la pauvrete ,, absolue>> (McIntyre 2003) la situe sans doute aux extremes et oblige a laprudence dans la generalisation des resultats. En effet, beaucoup depauvres sont en situation d'emploi (Gutierrez Palacios, GuillenRodriguez, et Pena-Casas 2009; Ulysse et al. 2006) et ne se situent pasnecessairement aux degres extremes du denuement. Il conviendrait donc devoir si ces positions de sujet contrastees se retrouvent dansd'autres secteurs marques par la situation de pauvrete. Parexemple, la retrouve-t-on dans le domaine scolaire? Les rapportsparents/enfants/enseignants/gestionnaires scolairess'etablissent-ils differemment dans les milieux favorises et dansles milieux plus appauvris? Comment s'adresse-t-on aux decrocheurs,aux adultes en formation, aux personnes suivant des programmesd'alphabetisation? On pourrait aussi interroger le secteur dulogement ou celui de l'insertion en emploi. Une autre facon d'approfondir ces interrogations seraitdemander si des modalites differentes d'action sur la pauvreteinduisent de differentes positions de sujet. Les organisations ouentreprises se revendiquant de l'economie sociale ou del'action communautaire se multiplient, y compris dans le champ dela securite alimentaire; beaucoup d'entre elles cherchent a sedemarquer de l'approche traditionnelle et se fondent sur lacapacite d'agir des personnes. Comment les participants y sont-ilsdefinis? Quelles sont leurs modalites empiriques d'intervention surleur situation? La lutte contre la pauvrete exige non seulement la distribution desressources sociales, mais aussi la materialisation des droits et devoirsde la citoyennete concrete. Peut-etre vaut-il mieux agir sur lesdeterminants structurels de la pauvrete que lutter contre la <<culture de dependance >>. Bien que ce texte ne vise pas adevelopper des principes normatifs ni a suggerer des modalites positivesd'action, il est probable que l'accent mis par lesorganisations communautaires sur la reciprocite dans l'intervention(Tremblay 2007) pourra offrir une voie interessante permettant dedepasser les limites identifiees dans ce texte. Bibliographie Allport, G.W. 1954. The Nature of Prejudice, New York, DoubledayAnchor. Banfield, E. 1958. The Moral Basis of a Backward Society, Chicago,Free Press. Beeman, J., J. Panet-Raymond, S. Racine, J. Rheault et J.,Rouffignat. 1997. << Les groupes d'aide alimentaire pour lespersonnes defavorisees: lieux de sociabilite ou de gestion de lapauvrete >>. 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La realisation du projet sur la securite alimentaire a eterendue possible grace a une subvention conjointe du ministere de laSante et des services sociaux et de l'Agence de la sante et desservices sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean dans le cadre du Programmede subventions en sante publique pour projets de recherche d'etudeet d'evaluation. Je leur suis reconnaissant de m'avoir laissela liberte de l'interpretation des donnees. Celle-ci n'engagedonc que moi et non les institutions subventionnaires.Une versionpreliminaire de ce texte a ete presentes au colloque << Pauvres etpauvrete >> (UQO, 29 mars 2007). Je remercie les participant-e-s ace colloque pour leur patience et leurs suggestions, ainsi que MiriamAlonso et Pierre-Julien Giasson et deux evaluateurs anonymes pour leurscommentaires sur une version anterieure de ce texte. Myriam Duplain etMarie-Claude Clouston ont droit a des remerciements particuliers pourleur longue collaboration dans la recherche d'ou sont tirees cesreflexions. (2.) Par opposition a un savoir fonde sur la connaissance descauses, qui serait alors scientifique ou theorique. (3.) Il y a longtemps, Andre Gorz (1973) avait martele que toutedivision du travail est a la fois technique et sociale et positionne lesacteurs dans des situations politiques differentes. (4.) En l'occurrence, ce territoire local correspond aux 6delimitations sociosanitaires (ex-CLSC) definies pas le ministere de laSante et des services sociaux du Quebec. Cette echelle est celle surlaquelle sont etablies et realisees les interventions directes sur leterrain. Trois personnes furent rencontrees sur chacun, pour un total de18 intervenants. (5.) D'autres elements d'information sont disponiblesdans P.A. Tremblay (2007), ainsi que dans Tremblay (dir.) et al. (2003)et Tremblay (dir.) et al. (2005). (6.) Lors du colloque organise a l'Universite du Quebec enOutaouais, une participante a indique que l'intervention pourra sediriger vers les << - - >> car ce sont ceux qui promettentles plus forts taux de succes. Cette interpretation, qui metl'accent sur l'evaluation plus que sur les cadresmethodologiques, me semble tout a fait raisonnable et complementaire acelle proposee ici. (7.) Je remercie un des evaluateurs de ce texte qui me rappellequ'il serait abusif de faire croire que tous les intervenantspartagent une conception aussi radicale de la pauvrete. (8.) O'Connor (2001:152ss.) a releve la meme individualisationdes traits de pauvrete dans le cas des theories americaines, quil'etablissent au detriment des divisions de classes et des rapportsentre categories sociales. (9.) Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on fait de la relationd'aide, du suivi et de l'accompagnement, on organise desservices d'aide directe comme des soupes populaires ou des cuisinescollectives, on developpe peutetre des programmes d'employabilite,mais on fait peu de developpement economique communautaire et onn'y trouve que peu d'organismes de defense des droits. (10.) Pour une interpretation differente du meme phenomene, voirLipsky (1980:32-35), qui precise que, dans ce secteur, l'offre deservices cree la demande, ainsi que Siblot (2003). (11.) Il s'agit d'un feminin epicene. (12.) Au moment de l'enquete, un litre de lait se detaillait a1,46$ comparativement a 0,99$ pour un contenant de deux litres deboissons gazeuses de marque maison. (13.) Certaines decisions juridiques recentes sur lesresponsabilites des grands-parents a l'egard de leurspetits-enfants laissent cependant entendre que ces contraintes ne sontpas uniquement informelles mais peuvent etre enterinees par les codes. (14.) Une enquete Sante-Quebec a montre que seulement une personnesur douze avait recours a des organisations favorisant la lutte al'insecurite alimentaire (citee par Rouffignat et al. 2001). (15.) Des indications plus elaborees sur cette question se trouventdans Tremblay (2007). Pierre-Andre Tremblay, Ph.D., Professeur, Departement des scienceshumaines, Universite du Quebec a Chicoutimi, 555 boul. del'Universite Chicoutimi (Quebec) G7H2B1. E-mail: patrembl@uqac.caFigure 1: Typologie des situations de pauvrete. Intensite faible Intensite forteDuree passagere - - - +Duree longue + - + +

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